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Vignettes


J’habite un village dans lequel on peut croiser des vieilles dames en chaussons à carreaux, de feutre, dans la rue, en blouse également à carreaux, de nylon, sous un manteau de laine gris, usé. Elles vont chercher leur pain à la boulangerie la plus proche. On se moquerait de ces vieilles dames en pantoufles nous qui portons l’authenticité au-delà des mers, bavant devant la supposée innocence, la dignité, l’exotisme et le naturel des femmes-barbares girafes premières à plateau, hommes-sagaies pharmacopées plantes médicinales et forêts à défendre préserver protéger, vie de tribus, défense de l’environnement biosphère rythme naturel osmose origine et bivouac de la vie…
alors forcément une vieille dame en chaussons dans les villes asphaltées, au milieu des costumes et des habits-velours, on s’en moquerait, farfelue d’un autre âge, un peu laissée pour compte de la modernité, vitesse et élégance mais aussi du rêve exotique de la vie alanguie, aguerrie, attentive et pensive des pêches aux cormorans asiatiques.

2006

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Les lieux d’enfance, quand il n’y a plus d’enfance, ne promettent plus rien, gelés, cristaux immobiles derrière un voile de gaze. Arrêt sur une photographie. Mouvement happé. Jeu de 1 2 3 soleil : face à un mur quelqu’un compte, se retourne et s’immobilisent les enfants qui derrière avançaient, et gardent la posture. Le premier qui bouge, trébuche, se marre, pouffe, grimace a perdu.

Les lieux d’enfance, quand il n’y a plus d’enfance, on attend qu’ils tressaillent mais tout est figé intacte beauté glacée blonde hitchcockienne, sous vitrine, musée même l’odeur trop forte du goémon pourrissant ramené par la mer arraché par les vagues même les galettes encore luisantes genre morse ou éléphant de mer de mazout, qui tachaient les pieds talons plantes orteils, même la brise de mer … 1 2 3 soleil ! rien ne bouge ne bougera plus jamais, aucun enfant n’a perdu. Il n’y a plus d’enfants. Volatilisés.

On se retourne, seule à avoir compté joué et derrière soi des rêves et derrière les rêves les lieux d’enfance. Habités par d’autres, plages braillées sillonnées chantées par trois petites gamines royales, indifférentes à tout ce qui ne les enchante pas, princesses miniatures en maillot de bain, éclaboussées de rêve et de gambade, elles passent et rejouent, devant l’adulte invisible que je suis devenue exactement à cette place, cadavre bronzée de souvenirs, rejouent les lieux d’enfance.
Lieux indifférents à qui s’en nourrit, mer sable cailloux liséré de plus en plus sombre loin pleine mer rochers immobiles pas agacés par la brise ou la brume, indifférents à qui s’en croit intime, consanguin, inhérent.

Les petites filles des lieux d’enfance.
Je me suis levée de mon corps de femme invisible, indifférente à mon tour, froide, figée, sous verre. C’est à ce moment précis que je suis réellement devenue intime des lieux d’enfance, consanguine, inhérente : indifférente et sans rêves.

2006

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Je vis dans un trou dans lequel tombent épars des confettis d’écrivains, des giboulées très silencieuses de textes qui se déposent sur moi, enveloppent mon corps parcelle par parcelle, au début couverture de neige puis lin ou coton enfin cuir de vache écailles et métal enfin moi en-dessous protégée par toutes ces carapaces moi poussière en-dessous asphyxiée asthmatique engorgée par tous ces mots des autres auxquels pas la peine le courage la folie l’aisance le sans-gêne de rajouter les miens mes confettis sinon quoi toute la planète croulerait sous les confettis de tout le monde et chacun légers les confettis a-priori innocents à force cumulo-nimbus de la poésie et de la prose de tous les charretiers toi moi épouvantés devant le silence le rien à dire le rien à signaler alors pourceaux du fond de notre bauge on couine nos confettis pour quoi ? participer au déluge blanc de la planète, à l’amoncellement d’imprécations nuageuses, barbares dans le ciel qui croule sous la masse lui aussi pour se creuser se plomber s’effondrer d’un coup sur nous en bas comme un couvercle le ciel pesant de mots bariolages babioles non seulement écrits sur des papiers écrans parchemins tableaux tables d’écoliers murs des ports de commerce, non seulement écrits mais dits prononcés haut-parlés pensés esquissés pas de danse qui se conserveraient quelque part, jamais perdus, jamais envolés mais tracés quelque part pour finir agglutinés épaississant les cumulo-nimbus de la pensée, de la non pensée juste de l’esquissé agar-agar de l’indigeste

2006
 



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