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mercredi 2 décembre 2020

ligne n°1

 

Un jeudi matin, je prenais la ligne de bus n°1, à Brest ; ligne que je n'avais pas eu l'occasion d'emprunter depuis des années et qui traverse des quartiers et des rues très familières à mon enfance. Assez vite je me suis rendue compte que je n'entendais personne autour de moi parler français... A nombre d'arrêts, des femmes, accompagnées d'enfants et tirant/poussant des caddies de courses montaient dans le bus et se rejoignaient le temps d'un trajet. Et le bus bruissait de sons, d'intonations et de rythmes totalement nouveaux pour moi. Les femmes, coiffées de foulard, parlaient turc, il me semble.

Non seulement, je découvrais une vie matinale et féminine inconnue puisque normalement à cette heure là je suis à mon travail mais je découvrais « mes » anciennes rues comme si j'étais devenue étrangère au travers du temps passé, et de la langue entendue durant ce petit voyage. Je me suis dit, avec étonnement : cette portion de vie, de rues ne m'appartient plus ; théoriquement, ces rues appartiennent à mon enfance, cette vie m'appartient puisque j'y suis née et la langue de cette ville est ma langue ; et pourtant me voici étrangère dans « mon » pays ; mon enfance et mes souvenirs sont étrangers aux femmes qui vivent ici et maintenant ; c'est à elles maintenant qu'appartient cette portion de vie et d'espace parce qu'elles la parlent avec une autre langue, elles l'habitent et l'habillent de cette langue dont je suis exclue ! »

Sensation étrange qui ne m'a pas fait peur, comme si le temps en passant avait passé le flambeau à d'autres qui d'étrangères sont de fait devenues indigènes ; et c'est moi, l'indigène qui suis devenue étrangère, dans mon propre pays (lieu et langue). Mes souvenirs et mon passé ne pesaient pas lourd dans la balance et ne justifiaient plus mon appropriation du lieu investi par d'autres désormais. C'était un peu comme si j'en avais été dépossédée.


Ce fut une expérience très dépaysante, déstabilisante ; je ne suis pas revenue intacte de ce trajet somme toute banal. J'en suis revenue curieuse ; curieuse à moi-même : qui étais-je puisque rien de mon passé ne survivait hormis les apparences et que la langue parlée me rejetait dans le passé ???

Mais je me suis surprise à accepter de bon cœur cette dépossession d'un lieu, comme inhérente au temps qui passe et la langue qui, de fait, m'excluait me renvoyait au passé donc à quelque chose de plus tout à fait vivant ; en tout cas recouvert par d'autres strates plus légitimes puisque présentes.Et je suis revenue curieuse de ces femmes, de leurs parcours pour arriver ici, loin de chez elles et chez elles à force d'y parler...



2012 ?

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